Louis XIV : génie de l'exercice du pouvoir, catalyseur de chefs-d’œuvre et auteur de décisions sordides ou stupides

 

Le 5 septembre 1638, le roi Louis XIII de France et sa femme Anne d’Autriche ont enfin un enfant mâle, qu'ils n'espéraient plus (après vingt-trois ans de mariage) et qu'ils prénomment donc Louis-Dieudonné : « don de Dieu ». C'est d'ailleurs pour remercier la Vierge de cette grossesse que sa fête, le 15 août, est devenue une fête du Royaume de France (le 15 août est encore aujourd'hui un jour férié depuis 1638). Couronné le 7 juin 1654, Louis-Dieudonné devient le plus célèbre des rois de France : Louis XIV alias le Roi-Soleil.

Quand il meurt, le 1er septembre 1715, il a eu le plus long règne effectif de l’histoire de France : soixante-et-un ans. Roi de tous les extrêmes, il a porté l’art (dont celui de gouverner) à des sommets, tout comme ses dépenses, sa barbarie et son manque de clairvoyance. Vous risquez d'être surpris...

 

Par C. R.

Publié le 29/07/2021

Dernière modification le 23/10/2024

Timbre (imprimé à partir d'une gravure en taille-douce) que la Poste française a dédié à Louis XIV en 1970. Les trois couleurs choisies par le graveur normand Albert Decaris sont signifiantes :

- le brun regroupe le personnage, son nom et le Soleil auquel il s'identifiait (sans compter que son peintre-décorateur s'appelait justement Le Brun) ;

- le bistre safrané suggère la couleur dorée du château et de ses richesses ;

- le vert foncé évoque le bronze oxydé des statues et la végétation sculptée du jardin à la française.

 

 

Pour quelles raisons Louis XIV est-il devenu un roi absolu ?

 

Tout commence quand le royaume de France a perdu coup sur coup son principal ministre d'État (autrement dit son premier ministre) et son roi, donc le père de Louis-Dieudonné, âgé de quatre ans. La déstabilisation politique qui va s'ensuivre traumatisera l'enfant.

 

Quand le cardinal de Richelieu (principal ministre d’État) meurt, le 4 décembre 1642, de nombreux feux de joie sont allumés dans le royaume de France... Dès le lendemain, le cardinal de Mazarin le remplace. Moins dur que son prédécesseur, il est pourtant détesté également. Cette hostilité ne facilite pas sa gouvernance.

 

Pour ne rien arranger, le roi Louis XIII meurt quelques semaines plus tard, le 14 mai 1643, sans doute à cause des traitements de son médecin : ses notes révèlent qu'il lui a administré 34 saignées, 250 purges et 2100 lavements... Cela permet au passage de constater que la réalité dépasse largement la fiction : les médecins apparemment burlesques ou héroï-comiques de Molière sont en réalité ultraréalistes. La médecine pratiquée au plus haut niveau du royaume de France au XVIIe siècle gardait visiblement un immense potentiel de progression...

 

Il faut noter que Louis XIII avait demandé par avance qu’il n’y ait aucune cérémonie pour son enterrement, afin d’économiser l’argent de son peuple. Son successeur battra quant à lui tous les records de dépenses, comme nous le verrons.

 

Pour l’instant, comme Louis-Dieudonné n’a que quatre ans lorsque son père Louis XIII meurt, c’est sa mère Anne d’Autriche qui exerce la régence du royaume de France et qui confie, donc, l’essentiel du pouvoir au cardinal de Mazarin, dont l’impopularité s’aggrave sans cesse.

 

La même année (en 1643), Louis-Dieudonné tombe dans un bassin des jardins du Palais-Royal. Il est sauvé de la noyade in extremis. Sans doute pas une très bonne expérience, comme on dit dans le jargon du marketing actuel.

 

En novembre 1647, quand Louis-Dieudonné (il vient d'avoir neuf ans) attrape la variole, sa mère fait venir les meilleurs médecins et laisse encore plus à Mazarin les rênes du royaume pendant qu'elle sauve son fils, qui reste plusieurs jours entre la vie et la mort : la vaccination n'existe pas encore et la variolisation (la pratique orientale, asiatique et africaine qui est à l'origine de la vaccination) n'est pas encore connue en Europe. Louis-Dieudonné survit malgré tout de nouveau mais va connaître de nouvelles infortunes...

 

À peine deux mois plus tard, en janvier 1648 (Louis-Dieudonné a toujours neuf ans), la Fronde éclate. Après une première étape marquée par des procédures parlementaires (auxquelles l'enfant doit parfois participer par sa présence), des révoltes violentes d’une partie de la population parisienne sont organisées par certains grands seigneurs – le prince de Condé et d’autres.

 

Une nuit de l’hiver suivant (celle du 5 au 6 janvier 1649), Louis-Dieudonné est éveillé pour monter précipitamment dans un carrosse avec son frère, sa mère et Mazarin, afin de fuir le Palais-Royal. Le moment de l’Épiphanie a été secrètement choisi parce que le peuple parisien se préoccupe alors plus de cette fête que du palais. Louis-Dieudonné a dix ans. Il se souviendra de cette nuit de fuite comme d’un traumatisme.

  

 

 

 

 

 

Louis-Dieudonné à l'âge de dix ans, d'après un portrait du peintre Henri Testelin, sur un timbre de la Poste de Ras al-Khaima (l'un des émirats faisant partie des Émirats arabes unis, où les rois de France apparaissent sur de nombreux timbres, de façon à donner une image valorisante de la monarchie).

 

Quand il est sacré, à quinze ans, le 7 juin 1654 (seulement un an après la fin de la Fronde), le roi adolescent n’a bien sûr pas oublié cette nuit de peur et cette humiliation qui l’ont traumatisé cinq as plus tôt. Sa résolution est scellée : il devra tenir les nobles d’une main de fer. C’est donc cet événement qui explique en grande partie sa façon de gouverner encore plus absolue que celle de Louis XIII.

 

Lorsque Mazarin meurt en 1661, Louis XIV, alors âgé de vingt-deux ans, décide en effet de se passer de premier ministre et il installe méthodiquement son règne personnel. Il contrôle lui-même le travail de ses ministres, jusqu’à faire emprisonner celui qui s’est trop enrichi et dont il est jaloux : le surintendant des finances Nicolas Fouquet, dont le sublime et innovant château de Vaux-le-Vicomte va inspirer le palais de Versailles, gouffre des finances publiques et symbole du pouvoir absolu.

 

Le château de Vaux-le-Vicomte : une élégance unique, qui a rendu Louis XIV fou de rage, au point de l'amener à faire emprisonner le propriétaire (son ministre Nicolas Fouquet) et de demander à ses concepteurs (Louis Le Vau, Charles Le Brun et André Le Nôtre) de s'occuper de l'architecture, de la décoration et des jardins du palais de Versailles.

 

 

Un gouffre des finances de l’État : c’est Versailles ici !

 

Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Louis XIV va confier la réalisation et l’animation culturelle de son palais aux mêmes artistes que ceux qu’employait Nicolas Fouquet : l’architecte Louis le Vau, le peintre-décorateur Charles Le Brun, le jardinier André Le Nôtre, le dramaturge Molière et le poète Jean de La Fontaine (dont une fable célèbre est analysée ici).

 

Le château de Versailles se caractérise bien sûr par ses dimensions gigantesques mais aussi par ses matériaux : notamment des marbres venus de toute la France et de toute l’Europe. Des ingénieurs, des fontainiers et des hydrauliciens sont eux aussi venus de toute l’Europe, par exemple pour construire la pharaonique machine de Marly qui a nécessité le travail de 1800 hommes sous la direction de l’ingénieur Rennequin Sualem venu de Liège. Il a fallu trente-deux ans de travail et de développements techniques voire scientifiques pour alimenter 1600 jets d’eau – soit quatre fois plus que de nos jours – consommant 6,3 millions de litres à l’heure.

 

L’organisation géométrique du palais montre surtout une volonté d’ordre absolu. Cela se traduit déjà dans l’urbanisme de la ville par la convergence des avenues en étoile. Cependant, c’est bien sûr la structure symétrique de l’architecture du château lui-même, avec de longues lignes droites, qui traduit de la façon la plus évidente la symbolique centralisatrice. La chambre du roi est bien sûr au centre du château.

 

Les formes géométriques du jardin à la française constituent quant à elles un symbole du pouvoir du roi sur la nature même. La perspective donne en effet l’impression d’une maîtrise du paysage à perte de vue. Même les divinités païennes du parc peuvent suggérer la participation des forces naturelles. Bien sûr, le roi s’identifie au dieu Apollon et au Soleil, notamment quand il l’incarne en dansant, comme nous le verrons. Même l’architecture intérieure est dédiée au Soleil, notamment la Galerie des glaces, conçue pour rendre spectaculaire la lumière du Soleil elle-même.

 

La construction d’un tel palais et la floraison des arts en tout genre qui y ont été associés constituait donc bien la face lumineuse de ces dépenses. Il sera plus difficile d’en dire autant pour les guerres, même si l’accumulation des coûts a finalement conduit à une rationalisation économique impressionnante qui a eu aussi un impact positif sur le pays.

 

Timbre de la Poste française (de 1973) rendant hommage à Charles Le Brun,

qui a décoré le Château de Versailles et notamment la galerie des Glaces

(le graveur Pierre Béquet reproduit ici une oeuvre du peintre :

une étude de femme à genoux dessinée à la sanguine).

 

 

Autre gouffre financier (mais moteur de développement économique) : les guerres de conquêtes (et la répression des révoltes)

 

En 1672, Louis XIV décide d’attaquer un puissant voisin : les Provinces-Unies. Pour diverses raisons, cette Guerre de Hollande s’enlise et coûte cher. Le roi a donc l’idée de lever de nouveaux impôts : désormais les actes juridiques et notariés doivent se faire sur un papier timbré, afin d’accroître les recettes de l’État.

 

Suite à cette décision, en 1675, Louis XIV doit affronter une révolte de l’ouest de la France : certaines populations, notamment en Bretagne, font des émeutes pour contester ces nouveaux impôts. C’est la révolte des Bonnets rouges et bleus (ou Révolte du Papier timbré).

 

Car si Louis XIV a diminué la taille royale – dont sont exemptés les nobles et les clercs – , c’est pour doubler les impôts indirects permettant de financer ses guerres puis ses dépenses pharaoniques donc in fine renforcer son pouvoir personnel.

 

Cependant, le fait de prélever des impôts ne suffit bien sûr pas : pour permettre la prospérité et pouvoir prélever davantage d’impôts, il fallait renforcer l’efficacité économique. Cela passe par la construction de manufactures sous Colbert. C’est aussi dans un souci d’efficacité économique que Louis XIV fait une sélection drastique de ses ministres – en allant jusqu’à faire arrêter un Nicolas Fouquet – et de ceux à qui il donne des fonctions importantes. Il réorganise l’État en profondeur, en gérant mieux les forêts, la marine, les ports voire les esclaves avec le « code noir » qui était en fait une tentative – économique – de préserver le capital humain en limitant un peu les sévices – qui restaient bien sûr encore barbares.

 

Dans cette politique de rationalisation économique, seule l’armée et les guerres donnent lieu à une augmentation des dépenses, pour renforcer le pouvoir national et royal par la même occasion. Louis XIV conquiert en effet un certain nombre de territoires, notamment au nord et à l’est : l’Artois, l’Alsace, la Franche-Comté, le Roussillon... Il confie également à son ingénieur militaire Vauban (nom complet : Sébastien le Prestre, marquis de Vauban) les travaux de fortification d’un nombre incroyable de villes et de lieux stratégiques (par exemple l'achèvement de la citadelle de Besançon) pour fortifier la périphérie du royaume de France.

 

La citadelle de Besançon (vue latérale – la ville, à droite, est hors-cadre), commencée par les Espagnols en 1668 et achevée par Vauban à partir de 1774, donc un peu avant le Traité de Nimègue de 1678 rattachant la Franche-Comté à la France). La construction va se prolonger jusqu'en 1683 avant d'autres fortifications autour de la ville de Besançon, jusqu'en 1695. Leur coût – lié à la bouche du Doubs et aux reliefs – a été tellement élevé que Louis XIV aurait demandé à Vauban si ces ouvrages étaient en pierre ou en or...

  

En tout cas, pour Louis XIV, l’État, c’est avant tout... Louis XIV, même si la phrase « L’État, c’est moi » ne semble pas avoir été réellement prononcée par Louis XIV devant les parlementaires en 1655 (une version républicaine de cette phrase a néanmoins bien été prononcée, trois-cent-soixante-quatre ans plus tard).

 

Un disciple très inattendu de Louis XIV

Cette fameuse phrase, authentique ou apocryphe, « L’État, c’est moi » a peut-être inspiré inconsciemment le politicien Jean-Luc Mélenchon (pourtant plus proche de l'esprit d'un Maximilien de Robespierre que d'un roi de France d'après ses propres déclarations) lorsque, face aux fonctionnaires voulant perquisitionner son appartement au nom de la République française, il a crié : « La République, c'est moi ! »

 

Louis XIV s'est aussi fait connaître par sa décision consistant à détruire en grande partie la ville de Bruxelles. Le bombardement de 1695 est en effet resté dans l'histoire de cette ville comme sa pire catastrophe, de loin : un tiers des bâtiments ont été détruits par les projectiles et par les bombes incendiaires. Le patrimoine artistique a en grande partie aussi été détruit, même si les bourgeois locaux ont fait le maximum pour mettre à l'abri ce qu'ils pouvaient. Cet épisode peu glorieux n'est pas très souvent mis en avant dans l'histoire de France alors qu'il illustre un certain esprit de conquête cynique, dans le plus grand mépris des personnes et du patrimoine artistique et historique, que Louis XIV semble avoir légué à son lointain héritier dans l'ordre de la cruauté et du manque d'intelligence véritable.

 

Cette gravure, faite d'après un dessin de l'artiste bruxellois Augustin Coppens montre le peu qu'il restait de la Grand-Place après le bombardement de 1695 exécuté par les troupes françaises de Louis XIV sous le commandement du maréchal de Villeroy. Source : archives de Bruxelles, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2654004

 

 

De la mise en scène artistique de son pouvoir à la réplique de l’agonie de son musicien-fétiche

 

Louis XIV a fait en sorte que ses courtisans le vénèrent presque comme un dieu, avec des cérémonies très codifiées. Cependant, sa tyrannie sur une cour de grands seigneurs qu’il retenait auprès de lui comme des domestiques n’avait pas seulement pour but de satisfaire un besoin de domination personnelle ni même d’assurer une représentation symbolique de l’exercice de son pouvoir politique. Le but politique était surtout pragmatique. En effet, les grands seigneurs affaiblissaient leur propre pouvoir sur leurs terres dont ils s’absentaient trop longtemps. Mieux : cantonnés aux abords du palais, ils restaient sous contrôle puisque leurs faits et gestes ainsi que leurs fréquentations pouvaient facilement être surveillés. Transformer les grands seigneurs en planètes tournant autour du Soleil qu'il représentait (notamment en dansant dans des chorégraphies qui signifiaient cela puisqu'il incarnait physiquement le rôle du Soleil) était à la fois une façon pratique de les maintenir concrètement sous son regard (ce qui préfigurait le concept de panoptique développé un siècle plus tard par l'Anglais Jeremy Bentham) et de renforcer symboliquement la structure absolutiste du royaume.

 

Louis XIV est en effet allé très loin dans la sacralisation de sa personne, en se mettant en scène comme un dieu dans des chorégraphies où il tenait le premier rôle : celui du dieu-Soleil, Apollon. La meilleure illustration de ces fêtes et de cette ambiance de folie mêlée à une virtuosité artistique maîtrisée nous est bien sûr fournie par le beau film de Gérard Corbiau, Le roi danse. Ce film donne une certaine idée des relations entre Louis XIV et les artistes d'exception qui l’entouraient. Il faut noter que même la mort du roi le rapproche étrangement de son musicien-fétiche : Jean-Baptiste Lully est mort de la gangrène après s’être accidentellement frappé le pied (droit) avec son lourd bâton de direction – il ne s’agissait pas d’une légère baguette à cette époque : cette dernière ne s’est imposée qu’au XIXe siècle. Or Louis XIX est mort lui aussi de la gangrène (à la jambe gauche).

 

Comme Jean-Baptiste Lully, Jean-Baptiste Poquelin – alias Molière – avait eu une mort étonnante (en 1673) : quelques heures après avoir joué sa pièce Le Malade imaginaire – et non pas sur scène comme le prétend la légende. Il faut noter que le personnage principal, Argan, s’inquiétait de façon prémonitoire dans une scène burlesque (III, 11) où on lui demande de faire semblant d’être mort : « N’y a-t-il pas quelque danger à contrefaire le mort ? » 

 

 

Un positionnement religieux violent voire pervers au service de son projet politique : menaces de viol et de pillage comme arguments de conversion au catholicisme

 

Louis XIV n’avait pas seulement pour appui les artistes exceptionnels dont il était le mécène – à commencer donc par Molière – mais aussi, du côté religieux, des prédicateurs comme Bossuet, auteur de sermons célèbres. En revanche, un prêtre a été un farouche opposant à sa politique et surtout à sa façon de gouverner : Fénelon, dont le roman didactique Les Aventures de Télémaque constituait aussi un manifeste contre l'absolutisme du Roi-Soleil.

 

Louis XIV est en effet le roi qui a révoqué l’édit de Nantes (en 1685, par l’édit de Fontainebleau) afin de renforcer encore son pouvoir par le contrôle d’une religion unique (cet édit avait été promulgué en 1598 par Henri IV pour rétablir une certaine tolérance à l'égard des protestants – et il faut rappeler qu'Henri IV était protestant à l'origine). Bien sûr, cette décision de Louis XIV était liée à une raison politique plutôt qu'à un souci véritablement religieux.

 

Pourquoi Louis XIV a-t-il renoncé à la possibilité du gallicanisme ?

Louis XIV aurait pu avoir la tentation de créer un gallicanisme, qui aurait été un équivalent français de l’anglicanisme : un christianisme réformé dont le chef spirituel serait le roi et non plus le pape. Cependant, il a préféré renforcer la présence et l'exclusivité du catholicisme. Ce choix pourrait paraître étonnant dans la mesure où il aurait pu apprécier l'idée d'être, dans son royaume, le chef de la religion de ses sujets, à la place du pape. Non seulement tous les sujets auraient eu la même religion que leur roi mais, en plus, ce dernier en aurait constitué la seule référence humaine. Cependant, le fait de choisir la réforme et de rejoindre le groupe des nations protestantes aurait été trop risqué : remplacer une religion hiérarchisée de façon pyramidale (avec un pape, des cardinaux, des évêques et des prêtres endiguant fermement l'interprétation à donner des textes religieux) par une religion plus égalitaire (avec des pasteurs incitant les fidèles à lire par eux-mêmes les textes religieux) aurait pu insuffler dans les esprits l'idée d'une autonomie de chacun pour l'interprétation spirituelle  donc potentiellement pour la pensée politique. Dans l'esprit du roi et de son entourage, la remise en question par les protestants des hiérarchies établies était le germe des idées républicaines.

 

Après la révocation de l'édit de Nantes, Louis XIV a eu une autre idée pour imposer sa propre religion à tout le royaume et pour y réduire drastiquement le nombre des huguenots (les protestants français). Cette idée a été tellement stupéfiante qu’un nouveau mot français a été créé pour la désigner : dragonnade. De quoi s’agissait-il ? En installant les dragons (de jeunes militaires soudards) dans les familles protestantes qui avaient des jeunes filles et des biens, il obligeait ces familles à se convertir par peur du viol, des pillages et des autres coûts générés par leur présence (il fallait les loger, les nourrir, les blanchir, etc.) sans pouvoir jamais émettre la moindre plainte, sous peine d'autres représailles. Le verbe dragonner renvoie à leurs excès dans ces familles mises sous pression. L’actualité récente a pu montrer d’autres exemples (en orient) de menaces de viols et de pillages pour forcer une population à se convertir. Ces méthodes ne peuvent pas être excusées avec les arguments d'un relativisme historique ou culturel puisque d'autres comportements politiques et religieux ont existé avant et en même temps dans la même aire culturelle. Il s'agit donc dans tous les cas d'un vrai choix qui engage la responsabilité de ses auteurs.

 

Un autre exemple de viol planifié au service d'un projet politico-religieux : Mehmed II

Le sultan ottoman Mehmed II, célèbre pour sa prise de Constantinople en 1453 (à l'aide d'un nouveau modèle de canon géant fabriqué par un ingénieur hongrois (Urbain ou Orban) dont les services avaient été refusés côté chrétien parce que jugés trop chers) était bisexuel et avait eu l'idée de se constituer un harem de jeunes hommes, en en prenant  un dans chaque famille chrétienne, avec un double objectif : assouvir ses désirs sexuels bien sûr, mais aussi prendre le dessus symboliquement sur l'élite chrétienne qui était en place auparavant. Chaque colonisation doit élaborer un moyen de contrôler l'élite du pays annexé : les Romains avaient intégré l'élite gauloise dans leur administration, par exemple ; Mehmed II, lui, a choisi le viol comme outil politico-religieux, comme Louis XIV le fera deux siècles plus tard, d'une autre façon, avec les dragonnades, pour imposer le catholicisme aux protestants français.

 

Avec ses dragonnades, Louis XIV a fait fuir vers d'autres nations environ un million de protestants, ce qui a représenté une grande perte humaine et économique pour la France, comme le remarque Gérard de Nerval dans Les Illuminés (au début de la section consacrée à l'abbé de Bucquoy), quand il évoque ce « million d'exilés qui avaient été contraints de porter à l'étranger les débris de leur fortune et les diverses industries où excellaient beaucoup de protestants ». Un tel sacrifice démographique et économique pouvait s'expliquer par une crainte qui datait de la guerre de Cent ans : celle de voir des Français se rallier à d'autres nations, autrement dit de voir des Français protestants constituer une sorte de cinquième colonne au service d'une nation ennemie protestante. Il est difficile de savoir si cette crainte était fondée mais on peut au moins remarquer que les huguenots étaient très majoritairement restés loyaux au royaume de France au moment de la Fronde.

 

 

Timbre de la Poste française rendant hommage (en 1985) aux pays qui ont accueilli les réfugiés huguenots : les protestants français fuyant les persécutions de Louis XIV, qui se réclamait pourtant tout comme eux du christianisme. Plusieurs pays européens ont en effet ouvert leurs frontières à cette minorité chrétienne (représentée par la croix brune centrale sur le timbre) victime de la violence politico-religieuse du roi de France (qui se réclamait également du christianisme) : la Hollande, la Suisse, l'Allemagne, Gênes, l'Angleterre, l'Irlande, la Suède et le Danemark). Les valeurs évoquées en bas du timbre permettent de situer (par inversion) le positionnement cynique et brutal de Louis XIV.


 

Louis XIV a heureusement inspiré d’autres mots que dragonnade : par exemple Louisiane. Cela dit, sa réaction a été encore plus étonnante et le gâchis s'est révélé géographiquement démesuré...

 

 

L’acquisition de la « Louisiane » (un quart des États-Unis actuels) par un explorateur normand : « fort inutile » selon Louis XIV

 

L'homme qui a créé le mot Louisiane était l’explorateur français René-Robert Cavelier de La Salle, né à Rouen en 1643 et assassiné au Texas en 1687 (par des Amérindiens spoliés de leur territoire). Il a bien sûr choisi ce mot pour rendre un hommage grandiose à son roi, Louis XIV, tout comme il a nommé un fort Saint-Louis – à l’origine de la ville du Missouri qui porte ce nom – en hommage à Louis IX, que nous avons évoqué plus haut.

 

Le 9 avril 1682, La Salle a donc nommé Louisiane l’immense territoire qu’il avait exploré et acquis pour la France : de la région des Grands lacs au delta du Mississipi, autrement dit du Canada actuel au golfe du Mexique. Cela représente plus de 22 % des États-Unis d’aujourd’hui – sur quinze états – et bien plus de trois fois la France actuelle... Le site du Musée canadien de l’histoire, matérialisant les itinéraires successifs de La Salle, donne une idée de l’immensité de ce territoire qu’il a exploré.

 

Un tel agrandissement du royaume (de plus de deux millions de km²) devait logiquement donner une émotion très vive à Louis XIV...

 

Il a en effet ressenti une vive émotion : de la colère. Informé de l’incroyable exploit de La Salle, le roi a aussitôt écrit au gouverneur local – La Barre – pour lui expliquer qu’il jugeait cet apport « fort inutile » (sic), en précisant explicitement : « il faut dans la suite empêcher de pareilles découvertes » (sic).

 

Au lieu de s'étendre sur cette réaction qui semble tirée d'une série télévisée humoristique, rappelons simplement qu’à la fin du règne de Louis XIV, la nation européenne qui possédait le plus vaste territoire en Amérique du Nord était la France, contre la volonté même de son souverain donc... L’ouest et le nord du continent étaient encore contrôlés par les peuples natifs : les nations amérindiennes (j'ai représenté leur territoire en vert sur la carte ci-dessous). Les Britanniques étaient cantonnés à une bande littorale et les Espagnols – dont les colonies immenses se situaient plus au sud de l’Amérique – possédaient surtout l’équivalent du Mexique actuel ainsi que la Floride et la plus grande partie des Caraïbes.

 

En bleu : la Nouvelle-France après l'acquisition des territoires explorés par La Salle

(dont Louis XIV ne voulait pas malgré le nom Louisiane qui lui rendait hommage) ;

en rose fuschia : les colonies britanniques (qui deviendront plus tard les États-Unis) ;

en vert : les territoires appartenant encore aux nations amérindiennes à cette époque ;

en orange : la partie septentrionale de la Nouvelle-Espagne.

J'ai réalisé cette carte en m'inspirant de celles de Jacques LECLERC,

« Histoire sociolinguistique des États-Unis (2) - La colonisation européenne (XVIe - XVIIIe siècles) » dans L'aménagement linguistique dans le monde, Québec, CEFAN, Université Laval

[https://www.axl.cefan.ulaval.ca/amnord/usa_6-2histoire.htm] (9 mai 20119).

 

 

Épilogue : Napoléon ne comprendra pas non plus l'intérêt de conserver 2 145 000 km² en Amérique du Nord...

 

Napoléon, partageant sans doute le jugement de Louis XIV sur l’inutilité de ces terres américaines, se chargera en 1803 de vendre (pour seulement quinze millions de dollars de l'époque, ce qui équivaut à environ un quart de milliard de dollars actuels) cet immense territoire (22,3 % des États-Unis actuels et plus de trois fois la surface actuelle de la France), jugeant plus utile de payer des soldats supplémentaires pour ses conquêtes que de conserver une partie importante de l’Amérique du Nord...

 

Ce qui a également poussé Napoléon à prendre cette décision qui peut sembler absurde, c'est un échec militaire particulièrement humiliant : contre le général François-Dominique Toussaint Louverture, un esclave noir affranchi qui a permis l'indépendance de Saint-Domingue, autrement dit Haïti. Il n'est pas étonnant que celui qui venait de rétablir un esclavage fondé sur des présupposés racistes ait eu envie de s'éloigner d'un nouveau monde où ses troupes avaient été battues de façon décisive par un Noir...

 

Enfin, la représentation romantique d'un Napoléon empereur français (donc fondant son empire sur la France et ses colonies) est plutôt fausse puisque le dictateur d'origine corse (dont le français n'était pas la langue maternelle) avait établi son palais impérial à Rome, se rêvant l'héritier des empereurs romains. Il avait d'ailleurs donné à son fils le titre de « roi de Rome ». L'Amérique ne devait donc pas compter beaucoup dans les fantasmes politiques d'un homme centré sur la Rome antique donc sur l'univers méditerranéen.

 

Il faut noter, en tout cas, que ce territoire vendu sous le nom « Louisiane » ne correspond pas du tout à l'actuel État de Louisiane (où certains habitants parlent encore français) qui n'en est qu'une petite partie. La « Louisiane » de l'époque couvre quinze États américains d'aujourd'hui : la Louisiane actuelle, l'Arkansas, l'Oklahoma, le Missouri, le Kansas, le Colorado, l'Iowa, le Nebraska,  le Wyoming, le Minnesota, le Dakota du Sud, le Dakota du Nord, le Montana, ainsi qu'une petite partie du Texas, du Nouveau-Mexique mais aussi du Canada.

 

Le territoire de la « Louisiane » telle qu'elle a été vendue par Napoléon

par rapport au territoire actuel des États-Unis qui l'englobe.

J'ai réalisé cette carte en m'inspirant, là encore, de celle de Jacques LECLERC,

« Histoire sociolinguistique des États-Unis (4) - L'expansion territoriale (1783 - 1867) » 

dans L'aménagement linguistique dans le monde, Québec, CEFAN, Université Laval

[https://www.axl.cefan.ulaval.ca/amnord/usa_6-4histoire.htm] (9 mai 20119).

 

 

Quelques-unes des sources consultées pour élaborer cet article

Un premier bonus, pour racheter Louis XIV : son interdiction de brûler les chats noirs sur les bûchers de la Saint-Jean

 

Pour conclure sur un fait souvent oublié, rappelons que c'est Louis XIV qui a interdit de mettre au bûcher les chats noirs lors des feux de la Saint-Jean – qui n'étaient donc pas seulement consacrés à fêter Jean le Baptiste (le personnage des Évangiles qui a baptisé Jésus de Nazareth) ou le solstice d'été selon une tradition païenne plus ancienne. Louis XIV a émis cette interdiction au nom de la rationalité (quelques décennies après que Descartes avait développé sa théorie de l'animal-machine, commençant ainsi à mettre fin aux procès d'animaux qui ont eu lieu jusqu'au XVIIIe siècle dans toute l'Europe (procès qui se soldaient souvent par la mise à mort de l'animal ou une séance d'exorciste). Pour en savoir plus sur l'histoire passionnante et étonnante de la relation entre les hommes et les autres animaux, il faut lire les ouvrages de l'historien Éric Baratay.

 

Tout comme Louis IX, qui était à la fois un catholique fanatique et le fondateur de la justice moderne en instituant la présomption d'innocence et en exigeant une véritable enquête (qui constituait le versant positif de l'inquisition médiévale face au caractère irrationnel de l'ordalie, la croyance selon laquelle Dieu ne pouvait pas se tromper en guidant le juge), Louis XIV a aussi bien exercé un totalitarisme violent (notamment en prenant sa religion comme prétexte pour accomplir son projet politique) que fait progresser la rationalité en France.

 

 

Un second bonus, pour mieux comprendre la personnalité de Louis XIV : sa polygamie effrénée

 

Un simple fait montre que les valeurs et les règles du catholicisme constituaient pour Louis XIV une préoccupation uniquement sur le plan politique mais pas sur le plan moral : sa propension à multiplier les conquêtes féminines et sa descendance (contrairement à son père Louis XIII qui – tout comme Henri III – était bisexuel mais relativement fidèle à sa femme et à ses favoris successifs, notamment le marquis de Cinq-Mars, peut-être accusé de trahison et décapité pour éviter qu'il ne révèle sa liaison avec le roi).

 

En effet, en plus des six enfants légitimes qu'il a eus avec sa femme officielle (Marie-Thérèse d'Autriche, avant son mariage secret avec Madame de Maintenon), Louis XIV a eu au moins seize « bâtards » (certains ayant été légitimés par le roi et élevés par Madame de Maintenon – mais d'autres non) avec au moins cinq autres femmes, dont la marquise de Montespan, qui sera accusée de participer à des messes noires et à des infanticides (avec l'abbé Étienne Guibourg, l'un des protagonistes de l'Affaire des Poisons avec la Voisin, la plus célèbre sorcière de l'époque) lorsque le vieux roi, lassée d'elle, l'aura remplacée avec une maîtresse de dix-sept ans : la duchesse Marie-Angélique de Fontanges. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage... Madame de Montespan s'est peut-être vengée en empoisonnant le fils de la duchesse de Fontanges. Cependant, il n'existe aucune preuve de ce dernier fait et il est difficile de savoir si cette femme était tombée dans une monstruosité psychologique ou si, au contraire, elle été victime de calomnies visant à discréditer ses critiques.

 

L'historien Pierre Daguenet a récemment publié la biographie de la marquise Marie-Angélique de Fontanges, qui avait déjà inspiré à Bernard Borderie une célèbre série de cinq films entre 1964 (Angélique, marquise des anges) et 1968 (Angélique et le sultan). Il faut que préciser que si le roi vieillissant se tournait vers des femmes de plus en plus jeunes, c'était autant par goût que par souci sanitaire : pour éviter les maladies vénériennes (il en avait contracté une extrêmement jeune lors de son dépucelage par Cateau-la-Borgnesse, peut-être envoyée par sa mère Anne d'Autriche dont elle était la dame de compagnie et la confidente).

 

Michel de Decker a quant à lui raconté la vie tumultueuse de Madame de Montespan : La favorite du Roi-Soleil à son zénith. 

 

Le même auteur évoque sur le site Historia quelques anecdotes peu connues liées aux conquêtes féminines internationales de Louis XIV

 

 

 

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