La réunion du G20 de 2022 s’est tenue récemment à Bali avec comme projet d’éviter une crise économique consécutive à la pandémie du Covid-19, à la guerre russo-ukrainienne et à la pénurie énergétique qui en découle (avec un renchérissement du coût des transports qui assurent la fluidité des échanges économiques mondiaux).
Mais qu’est-ce que le G20 et pourquoi a-t-il fallu le créer en plus du G7 ? Quant aux BRICS, sont-ils au même niveau et pourquoi l'économie modeste que représente l'Afrique du sud y a-t-elle une place de choix ?
Par C. R.
Publié le 16/11/2022
Dernière modification le 10/11/2024
Le G7 s'est constitué progressivement dans les années 1970 :
C'était à un moment où il était en effet nécessaire d’avoir une nouvelle forme de pilotage de la politique économique et financière mondiale.
La clé pour comprendre l’enchaînement des causes et des effets, ce sont deux dates : 1971 et 1973.
En effet, lors du premier G6 en 1975, il fallait réagir aux conséquences du premier choc pétrolier qui avait eu lieu deux ans avant, en 1973 : une grave crise énergétique et économique provoquée par une réaction des pays arabes à la victoire israélienne très rapide – grâce à l’aide américaine – dans la guerre du Kippour entre Israël et une coalition de plusieurs pays arabes menée par l’Égypte et par la Syrie. C’était rien de moins que la fin des Trente Glorieuses : la période de reconstruction puis de prospérité économique qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale. L’économie mais aussi la vie quotidienne avaient été bouleversées. On avait alors découvert la nécessité de faire des économies d’énergie et l’industrie des transports, notamment, avait dû s’adapter en toute urgence suite à l’augmentation brutale des prix du pétrole.
1975, c’était aussi quatre ans après la fin du système monétaire international (1971) mis en place en 1944 lors de la conférence de Bretton Woods (qui était aussi à l'origine du FMI et de la BIRD : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement) pour développer le monde libre : le dollar était dans cette période la seule monnaie convertible en or (une once d’or = 35 dollars) pour éviter une crise économique ; mais en 1971, le président américain Nixon craignait qu’il n’y ait plus assez d’or dans les réserves fédérales par rapport aux quantités énormes de dollars accumulées dans le monde. Il y avait donc un risque d’emballement des demandes de conversion qui videraient les réserves fédérales d’or. Nixon a donc rétabli un système de change flottant, sans parité fixe entre le cours du dollar et le cours de l’or. Ce changement fondamental dans le système monétaire mondial a d’ailleurs été en grande partie à l’origine de la réflexion sur une monnaie unique européenne (pour limiter les risques de crise monétaire).
Avec ce retour à un système monétaire mondial moins stable donc à une économie également plus exposée aux risques de crises, il fallait une coopération internationale plus régulière, d’où cette création du G6, devenu rapidement le G7 et, plus tard, le G8 (avec l'intégration de la Russie en 1997) puis de nouveau le G7 en 2014 (suite à l'annexion de la Crimée par la Russie).
Le G7, contrairement au G20 comme nous le verrons, a en effet été conçu comme un groupement des démocraties les plus industrialisées visant à faciliter la collaboration entre leurs gouvernements pour protéger et/ou guider l'économie mondiale. Il faut remarquer que tous ses membres sont situés en Europe et en Amérique du nord, sauf le Japon, seul pays asiatique représenté. En tout cas, deux conditions doivent être respectées pour faire partie du G7 : être une superpuissance économique et être une démocratie.
Néanmoins, l’absence de la Chine (2ème économie mondiale en termes de PIB : le produit intérieur brut, autrement dit l'estimation globale de toutes les richesses produites en un an par le pays), de l’Inde (une démocratie et la 5ème économie mondiale : son PIB est presque deux fois plus important que celui de l’Italie ou du Canada, par exemple) et de continents entiers a bien sûr fini par poser divers problèmes :
C’est en effet après les crises financières des années 1990 qu’un groupe élargi a été proposé par le Canada en 1999 : le G20.
Le G20 regroupe les... 19 pays dont l’économie est censée (nous verrons pourquoi j'emploie ce terme en pensant à certains pays européens qui en sont exclus) être la plus forte. S'y ajoute, comme au G7, une union politique et économique : l’Union européenne (UE).
Contrairement au G7, cette fois, des pays émergents font partie du G20 et tous les continents y sont représentés :
Il faut noter la présence de pays qui n'ont absolument rien de démocratique (malgré leur nom) comme la « République démocratique de Chine » (gouvernée par le dirigeant d'un parti unique pour une durée illimitée et sans contre-pouvoir), l'Arabie saoudite (avec une particularité rarissime et significative : le nom du pays intègre celui de la famille de dictateurs héréditaires : les Al Saoud) et bien sûr la Russie, exclue du G7 en 2014, mais toujours au G20 en 2022 (où elle a été représentée par le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, Vladimir Poutine craignant sans doute soit une humiliation par mise à l'écart, soit une révolution de palais au Kremlin pendant son absence).
Cependant, on peut remarquer des absents de marque parmi des démocraties dont le poids économique est conséquent. L’Espagne (à peu près la 15ème économie mondiale, loin devant l’Argentine) est seulement invitée permanente du G20. Les Pays-Bas sont certes souvent invités mais pas toujours, même si le port de Rotterdam est le plus grand d'Europe, ce qui fait de ce pays une plaque tournante économique de tout premier plan (à côté des ports voisins d'Anvers et de Hambourg, ce dernier ayant d'ailleurs été vendu à la Chine par l'Allemagne). Il faut encore citer la Suède, dont la puissante économie est mise au service d'un modèle social particulièrement évolué. Cela dit, on peut aussi considérer que ces pays sont représentés de toute façon en tant que membres de l’UE – que d'autres très grandes puissances n'ont pas forcément intérêt à voir surreprésentée.
Pourtant, un autre pays européen, non-membre de l'UE et dont la puissance financière n'est plus à démontrer est également exclu du G20 : la Suisse (dont le PIB dépasse largement celui de l'Argentine et celui de la Turquie), qui n’en fait pas partie pour des raisons complexes (des critiques mutuelles et bien d'autres raisons, expliquées dans un article du quotidien suisse Le Temps) et peut-être parce que son admission poserait le problème de l'admission d’autres pays (Pays-Bas, Suède, Espagne...). La Suisse a donc dû profiter des bonnes relations qu'elle entretenait naguère avec la Russie pour se faire inviter au G20 de 2013 à Saint-Pétersbourg, tandis que les demandes auprès de la Chine n'ont pas eu le même succès en 2016.
Le G20 se rassemble en effet une fois par an, parfois deux, en passant d'un pays à l'autre, parmi ses membres.
Les pays participants sont représentés soit par leur chef d’État, soit par leur chef de gouvernement, habituellement accompagné par le ministre des finances et/ou de l’économie ainsi que par le gouverneur de la banque centrale.
L’UE est représentée par la présidente de la Commission européenne (actuellement l’Allemande Ursula von der Leyen) et par le président du Conseil européen (le Belge Charles Michel actuellement).
Il y a également des représentants de certaines institutions internationales : la directrice générale du FMI (la Bulgare Kristalina Georgieva) et le président du groupe de la Banque mondiale (actuellement l’Américain David Malpass) qui regroupe cinq organisations dont la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement).
On comprendra aisément que ce club de grandes puissances économiques qui regroupe 80 % du PIB mondial a un rôle majeur et qu’il faut absolument y être, d'où l'intense – mais vain – lobbying des conseillers fédéraux suisses qui a été évoqué précédemment, pour ne prendre que cet exemple.
Le G20 apparaît ainsi comme un club très fermé... et aussi très critiqué, notamment en tant qu'organe de décision supra-étatique donc non véritablement démocratique (surtout quand la Chine ou l'Arabie saoudite y ont une voix qui compte lourdement), pour une économie libérale qui peine à mettre fin aux dérives de la finance mondiale. Un indice montre peut-être le manque de prise en compte d'un développement équilibré : parmi les quinze pays qui bénéficient du plus haut IDH (l'indice de développement humain, qui prend en compte le PIB par habitant, l'espérance de vie à la naissance et le niveau d'éducation), il n'y en a que trois qui siègent directement au G20.
Face au G7, un certain nombre d'autres puissances économiques ou de puissances émergentes ont décidé de se rassembler pour peser davantage dans les affrontements géopolitiques, en dépit de leurs intérêts divergents. Cette alliance de circonstance entre des pays démocratiques (l'Inde, le Brésil et l'Afrique du sud) et des régimes dictatoriaux ou autoritaires (la Chine et la Russie) est dénommée BRICS, un acronyme constitué des initiales des pays concernés en anglais (Brazil, Russia, India, China, Saudi Arabia).
Le premier sommet annuel des BRICS a eu lieu en 2011, précisément l'année où la Chine a remplacé le Japon en tant que deuxième plus gros PIB de la planète. D'ailleurs, depuis 2020, le PIB total des BRICS est équivalent à celui du G7. Les BRICS envisagent même une monnaie commune pour contrer l'hégémonie du dollar. Le yuan est d'ailleurs devenu une monnaie d'échange dans certains pays de l'ancien bloc soviétique. On peut d'ailleurs imaginer que l'intérêt de la Chine est d'imposer sa monnaie pour garder son indépendance et certainement pas de dépendre d'autres continents, au moment où le nationalisme chinois – mal déguisé en communisme censé être au contraire internationaliste – se renforce drastiquement.
Néanmoins, les BRICS ne constituent pas seulement une réponse à l'alliance économique, financière et politique qu'est le G7 : c'est aussi en partie ou en filigrane une réponse stratégique à l'alliance militaire défensive – et uniquement défensive malgré les affirmations trompeuses de Vladimir Poutine. En effet, les dernières années ont été marquées par diverses formes de coopération militaire entre ces pays : par exemples, des exercices militaires ont été organisés en Afrique du sud avec la Russie et la Chine. Bien sûr, ces improbables alliances constituent un jeu de dupes et il va de soi que l'Afrique du sud, le Brésil voire la Russie ne pèse pas lourd face au mastodonte chinois qui les instrumentalise. Seule l'Inde (première puissance démographique du monde, démocratie donc plus solide à long terme et premier vivier mondial d'informaticiens) est un partenaire – et concurrent aux aguets – comparable à la Chine, qui vassalise déjà la Russie comme elle a vassalisé plusieurs pays africains.
La grande question qui pourrait se poser est d'ailleurs la raison de la présence au sein des BRICS de l'Afrique du sud, qui dispose d'une économie relativement modeste par rapport aux autres (son PIB dépasse à peine 2 % de celui de la Chine). Pour comprendre le rôle unique de ce pays, il faut prendre en compte sa position géographique hautement stratégique, à un endroit où les plus gros navires doivent passer quand ils ne peuvent pas emprunter le canal de Suez : pétroliers, cargos géants, porte-avions... Si l'on songe aussi à ses ressources minières exceptionnelles, on comprend mieux pourquoi la Chine et la Russie ne peuvent pas se passer de cet allié. C'est même ce pays qui va accueillir le sommet des BRICS en août 2023. Alors que les médias du monde entier se demandent surtout si Vladimir Poutine aura le courage de s'y rendre en personne – lui qui ne se laisse même plus approcher par ses propres ministres et qui ne voyage plus qu'en train blindé comme son homologue nord-coréen – aura le courage de s'y rendre, ils oublient sans doute un peu trop de se pencher sur le cas de Cyril Ramaphosa.
Cyril Ramaphosa, un négociateur de très haut niveau
Le président sud-africain est en effet un négociateur de haut vol, du fait de son passé de responsable syndical puis d'homme d'affaires. On commence à murmurer qu'il serait même l'un des rares chefs d'États mondiaux capables de développer une stratégie de sortie de guerre russo-ukrainienne si la Chine le soutenait dans sa démarche. Petit rappel : bien avant d'être président d'Afrique du sud, Cyril Ramaphosa a été à l'origine de la plus grande grève minière de l'histoire de l'Afrique, le négociateur en chef de Nelson Mandela pour mettre fin à l'apartheid et, enfin, l'un des deux inspecteurs internationaux qui ont débloqué les négociations de paix en Irlande du nord, notamment en rendant possible le désarmement de l'IRA. Cependant, si la relation de son pays avec la Russie devait continuer à se développer encore, on peut douter que l'Ukraine lui fasse suffisamment confiance lorsque sera venu le moment de s'asseoir à la table des négociations. À moins que Cyril Ramaphosa ait en tête tout à fait autre chose qu'une négociation...